LOUISE DU NEANT
Essai mythobiographique III.
L’Église Saint-Simplicien de Martigné-Briand nous ramène aux origines de la tradition catholique. Lors de la querelle de l’arianisme qui déchira la communauté gallo-romaine , Hilaire et Martin (comme Augustin à Carthage) ont des hésitations politiques. De ces deux figures amies du IVème siècle, Martin gagne sans conteste la bataille de la toponymie ( il y a plus d’un âne, oui) , Martigné gagne ainsi son nom ; et pourquoi Simplicien ? Ah oui, parce qu’il eût la tête tranchée sur les terres d’Hilaire près de Poitiers (vous vous souvenez, le diocèse de Poitiers commence là, juste au Sud à quelques lieues), pourquoi la tête tranchée ? Parce qu’il était évêque de Milan, oui, comme Ambroise, le mentor de Martin et d’Augustin. C’est simple, non ? En tous cas Simplicien est à l’origine d’une belle légende tellurique parfaitement recyclable, enfin je crois. Un dernier mot : juste au-dessus de l’abside on lit dans un phylactère « tu prends les vents pour messagers, pour serviteur un feu de flammes ». Waouw !
Le chanoine Briand leva les yeux vers les ogives croisées de la crypte et son regard s’attendrit en caressant la patine des anneaux métalliques, encore luisante des frottements d’une corde. Il soupira. La mission annoncée était vraiment une calamité ; tous les sept ans, comme des nuées de sauterelles, jésuites, capucins, dominicains ou mulotins se relayaient pour réveiller la terreur sacrée. Cette fois c’était un jésuite, sans doute la pire des engeances ! Il avait fallu interrompre avant-hier les jeux innocents auxquels il se livrait avec sa nièce : elle l’avait si cruellement fouettée et lui l’avait si sauvagement mordue qu’ils portaient l’un et l’autre sous leurs robes de petites compresses d’orpin blanc. Avec les jésuites on pouvait s’attendre à tout et il faudrait qu’avant quatre jours ses zébrures soient devenues anodines, sans quoi son bénéfice pourrait bien s’envoler. Sans compter qu’il faudrait trouver de la chair fraîche pour ces maudits freux, les rapaces n’aimaient pas repartir bredouilles. L’oiseau de malheur venait du diocèse du Mans et sa réputation chez les religieuses faisait frémir : on racontait que l’une d’elle s’était inscrite pour un périlleux voyages vers la Terre Sainte, nonobstant les objurgations de la Mère supérieure ; elle espérait, disait-elle, finir au harem plutôt que d’accomplir les pénitences auxquelles étaient soumises les jeunes vierges du Lude. Il est vrai que le confesseur maniait les outils du hongreur à des fins expiatoires.
Le Jésuite viendrait seul, on le savait sombre et sec, sa cave à vins ne serait donc d’aucun recours et mieux valait d’ailleurs en dissimuler l’entrée. Un mois épuisant l’attendait, plein de dangers, de dénonciations et de rumeurs ; le chanoine avait convenu avec son amie l’abbesse de mettre sa chère nièce à l’abri au diocèse de Poitiers, sous prétexte d’un pèlerinage à saint Hilaire. Il se sentit lourd en remontant vers l’abside et s’assit un moment dans sa stalle ; dans la lumière du vitrail, le prie-dieu où Marion s’agenouillait face à lui, protégée du regard des fidèles par la masse de l’autel, elle lui souriait pudiquement . Ses mains jointes ne l’empêchaient pas de se passer discrètement la langue sur les lèvres s’il faisait mine de lever son livre d’heures et de se déboutonner.