dimanche 7 septembre 2008

VI. La fièvre

LOUISE DU NÉANT.

Essai mythobiographique VI.





Claude Louis-Combet écrit : « Vers la même époque le grand Arnaud dans son «Traité » insistait sur la nécessité du sentiment de pénitence chez le fidèle qui se prépare à recevoir l’eucharistie ». Et en quatrième de couverture de la pseudo-bibliographie du jésuite Jean Maillard, que nous nous efforçons de rectifier dans ces pages, l’éditeur ( mais est-ce lui ?) indique : « [Louise est] un extraordinaire exemple d’abnégation personnelle, de rigueur acétique (sic) et d’illumination mystique ». Cette divine coquille est la goutte acide qui tombe aujourd’hui sur le bouton rose et rend le daïmon fou du vinaigre de framboise
.

Louise est envoyée à Angers par sa mère, tant pour la soustraire aux convoitises que pour son instruction : elle séjournera chez les religieuses et on lui enseignera « la philosophie française, la géographie, l’arithmétique, le blason, l’histoire sacrée et profane et la langue italienne ». Son pseudo-biographe la décrit : « Elle avait le corps bien fait et fort adroit » « savait danser, chanter et jouer de divers instruments. » Mais« Dieu éprouva sa patience par une maladie qui la réduisit à l’extrémité, et sa charité fut mise à l’épreuve. »

Louise était dévorée par la fièvre et le médecin qui redoutait pour la population les miasmes d’une année à sept crues dans les basses vallées, avait dépêché près d’elle un tout jeune carabin italien fort inquiet pour sa belle patiente. Pendant trois jours, le jeune homme ne put guère faire autre chose que lui passer des compresses fraîches sur le front en admirant la beauté de ses traits, et, au fur et à mesure où la sueur mouillait sa chemise, les Sporades de la poitrine, les Cyclades du ventre et même le Dodécanèse qui, en s’élargissant, faisaient apparaître l’incontestable réalité des continents prétendument disparus. « Hic Rhodos… » pensait le jeune homme, mais il avait honte d’imaginer la suite, car la fièvre empirait. Ce jour-là, après qu’on l’eût fait sortir pour changer la chemise, le bel italien se résolut à prendre dans sa bourse un peu de poudre qu’il avait confectionné lui-même avec de l’écorce de quinquina. Ce remède, déjà utilisé en Italie, ne l’était que très peu en France : il en fit absorber à la malade en la faisant boire.

Cette nuit-là, c’est lui qui eût la fièvre en imaginant l’étoffe humide, réticente à se détacher de la peau de Louise, puis la légèreté de la chemise propre qui se hâtait d’envelopper de frais, de garder tout pour elle, le pubis au poil doré étonnamment court, les tétons modestes mais pointus qui contrastaient avec des aréoles plus larges qu’un marc d’argent. Il se réveilla, son sexe dur dans la main, mi-béat, mi-honteux du songe où il chevauchait Louise, alors quadrupède, tandis qu’un mors de métal bleu écartait des dents trop blanches et brillait de la même lueur d’enfer que ses yeux fous de fièvre…

La religieuse qui le reçut le matin commençait à le connaître, elle lui dit d’un air joyeux que Mademoiselle de Bellère semblait aller mieux. Pourtant, ils firent silence en arrivant près de l’alcôve où Louise reposait, mais ils s’inquiétèrent de l’entendre encore délirer, était-ce toujours la fièvre ?

« Voglio morire, le tue mani ancora ! Diavolo ! La tua bocca ancora ! Ti voglio ! Il fuoco, l’agua…Vieni ! Dove ? aaargh …”

Il lut dans les yeux de son accompagnatrice que cela n’émouvait pas que lui : il la plaqua contre la boiserie ; elle ne résista pas. Et Louise était sauvée.


samedi 15 septembre 2007

La Chambre


LOUISE DU NEANT

Essai mythobiographique V.

J’ai vécu à une heure de marche de Louise, certes, il aurait fallu passer à travers champs , mais de l’Arcison au Layon de moulin en moulin je vais vite ignorant les griffures car je crains que la toute jeune femme au petit short noir arrive à m’oublier avant d’arriver à Cornu… ( diable !)

Louise a quatorze ans et l’habileté de ses doigts comble son divin époux ; qui dira la puissance érotique de l’expression même de « fréquente communion » ? Il lui arrive même, lorsqu’elle est très humide et qu’une goutte se forme, de communier sous les deux espèces, quand le majeur s’égare. Louise a maintenant sa chambre, elle eût préféré un réduit de domestique, près de la soue, pour se laisser aller aux extases un peu bruyantes sans faire ricaner son frère, mais sa mère ne l’a pas voulu. Sa chambre minuscule a été aménagée sur un palier, presque sous la toiture et la petite ouverture sans vitre laisse pénétrer une belle lumière qui se voile un peu lors des visites nuptiales ; c’est du moins ce qu’il semble à Louise qui passe alors d’un meuble à l’autre et ses deux seuls meubles sont un prie-dieu et le bas-flanc où elle se précipite sans cesser son oraison. Louise continue sa croissance et est de plus en plus belle. D’ailleurs l’abbesse de Saumur ne cessait de le lui répéter. Il lui paraît aujourd’hui que les mois et les années s’écoulent comme une succession d’extases inquiètes qu’elle n’a pas méritées.

vendredi 31 août 2007

Le baptème de Louise

LOUISE DU NEANT

Essai mythobiographique IV.

Deux flèches me viennent à l‘esprit, celle qui désigne le Mont-Glonne et celle qui plonge des hauteurs du Layon sur le Poitou de la Petite Église (qui dira la contribution à l'histoire de l'humanité des panneaux financés par la famille Michelin ? En tous cas la forme exacte des flèches opposées de ces précieux totems de fonte à la gloire du dieu caoutchouc fait partie de ma topographie onirique). Des dizaines de lieues d’un massif schisteux où depuis les siècles on guette le Picte, on guette le Romain, l’Arien, on guette le Maure, le Huguenot, l’Autre... L'Autre, à peine humain, tant il est semblable à vous ; l'autre qu'il faut convertir ou tuer, d'ailleurs il veut vous tuer, d'ailleurs il vous tuera, ce barbare, à moins que la divinité ne vous protège. Ainsi au cinquième au neuvième et dixième siècles, puis aujourd’hui depuis la fin du Concile de Trente, la divinité exige pour être là, sur la hauteur, de nouveaux sacrifices humains.


Louise fut relevée doucettement et conduite près de la révérende mère qui bien qu’apaisée par les services intimes qu’elle venait d’échanger avec la novice, conservait un reste d’excitation. L’abbesse n’était pas dupe, tout dans l’attitude de la fillette indiquait que des mains de mâles s’étaient posées sur elle ; tout cela était occulté, oblitéré, la moniale savait trop bien que penser des pères, des frères et de la promiscuité qui régnait dans les ruelles conjugales de ces seigneurs mi-paysans, mi-hobereaux toujours entre deux vins. Mais il fallait se montrer réaliste, le jésuite arrivait et cette petite n’était pas baptisée, juste ondoyée, elle serait sacrifiée et le sectateur d’ Ignace irait désormais s’occuper des manants, laissant l’abbaye à sa contemplation et à ses moiteurs.

Le dimanche, la mission commença donc par le baptême de Louise en la chapelle de l’abbaye, Louise avait les mains liées et il avait fallu l’amener de force, mais malgré cela elle essaya de mordre la main poilue qui lui ôta son mouchoir de col pour lui apposer l’onction ; le jésuite tremblait d’excitation et de colère et son «... et spiritus sancti » résonna comme une imprécation. Le soir même Louise eût ses premières règles et l’hilarité que cela provoqua la fit sombrer dans une aphasie totale pendant plus d’un mois.

La mission était alors terminée, le jésuite avait convenablement terrorisé le village, confessé trois cents âmes, jeté la suspicion sur deux « sorcières » finalement acquittées, brisé sur son genou quelques baguettes blanches et il emmenait avec lui ... Louise et deux autres jeunes filles qu’il s’était engagé à remettre aux franciscaines de Saumur dont la supérieure, dit le biographe, « avait négligé de dompter ses passions et d’acquérir les vertus que son état demandait. » Elle en usa pendant un an puis la renvoya au Tronchay. Louise se considérait désormais comme épouse du Christ. Mais au manoir, cela n’arrangeait pas ses affaires.

lundi 13 août 2007

Le Chanoine

LOUISE DU NEANT

Essai mythobiographique III.

L’Église Saint-Simplicien de Martigné-Briand nous ramène aux origines de la tradition catholique. Lors de la querelle de l’arianisme qui déchira la communauté gallo-romaine , Hilaire et Martin (comme Augustin à Carthage) ont des hésitations politiques. De ces deux figures amies du IVème siècle, Martin gagne sans conteste la bataille de la toponymie ( il y a plus d’un âne, oui) , Martigné gagne ainsi son nom ; et pourquoi Simplicien ? Ah oui, parce qu’il eût la tête tranchée sur les terres d’Hilaire près de Poitiers (vous vous souvenez, le diocèse de Poitiers commence là, juste au Sud à quelques lieues), pourquoi la tête tranchée ? Parce qu’il était évêque de Milan, oui, comme Ambroise, le mentor de Martin et d’Augustin. C’est simple, non ? En tous cas Simplicien est à l’origine d’une belle légende tellurique parfaitement recyclable, enfin je crois. Un dernier mot : juste au-dessus de l’abside on lit dans un phylactère « tu prends les vents pour messagers, pour serviteur un feu de flammes ». Waouw !

Le chanoine Briand leva les yeux vers les ogives croisées de la crypte et son regard s’attendrit en caressant la patine des anneaux métalliques, encore luisante des frottements d’une corde. Il soupira. La mission annoncée était vraiment une calamité ; tous les sept ans, comme des nuées de sauterelles, jésuites, capucins, dominicains ou mulotins se relayaient pour réveiller la terreur sacrée. Cette fois c’était un jésuite, sans doute la pire des engeances ! Il avait fallu interrompre avant-hier les jeux innocents auxquels il se livrait avec sa nièce : elle l’avait si cruellement fouettée et lui l’avait si sauvagement mordue qu’ils portaient l’un et l’autre sous leurs robes de petites compresses d’orpin blanc. Avec les jésuites on pouvait s’attendre à tout et il faudrait qu’avant quatre jours ses zébrures soient devenues anodines, sans quoi son bénéfice pourrait bien s’envoler. Sans compter qu’il faudrait trouver de la chair fraîche pour ces maudits freux, les rapaces n’aimaient pas repartir bredouilles. L’oiseau de malheur venait du diocèse du Mans et sa réputation chez les religieuses faisait frémir : on racontait que l’une d’elle s’était inscrite pour un périlleux voyages vers la Terre Sainte, nonobstant les objurgations de la Mère supérieure ; elle espérait, disait-elle, finir au harem plutôt que d’accomplir les pénitences auxquelles étaient soumises les jeunes vierges du Lude. Il est vrai que le confesseur maniait les outils du hongreur à des fins expiatoires.

Le Jésuite viendrait seul, on le savait sombre et sec, sa cave à vins ne serait donc d’aucun recours et mieux valait d’ailleurs en dissimuler l’entrée. Un mois épuisant l’attendait, plein de dangers, de dénonciations et de rumeurs ; le chanoine avait convenu avec son amie l’abbesse de mettre sa chère nièce à l’abri au diocèse de Poitiers, sous prétexte d’un pèlerinage à saint Hilaire. Il se sentit lourd en remontant vers l’abside et s’assit un moment dans sa stalle ; dans la lumière du vitrail, le prie-dieu où Marion s’agenouillait face à lui, protégée du regard des fidèles par la masse de l’autel, elle lui souriait pudiquement . Ses mains jointes ne l’empêchaient pas de se passer discrètement la langue sur les lèvres s’il faisait mine de lever son livre d’heures et de se déboutonner.

dimanche 12 août 2007

L'abbaye

LOUISE DU NEANT

Essai mythobiographique II.

J’ai compté les pas entre le manoir du Tronchay et l’abbaye de Villeneuve, dont le parc surplombe le Layon. Ma silhouette alourdie ne laisse pas soupçonner le renard, je ne risque pas la battue, tout au plus un signalement à la gendarmerie. J’ai trouvé Guillemette de Taillis comme abbesse d’une autre abbaye deux siècles plus tôt. Mais c’est joli, non ?

L'abbesse de Villeneuve manda Charlotte pour l'assister lors du service de sexte. La jeune novice futée savait à quoi s'en tenir ; ce début d'après-midi était celui des rencontres sur la margelle du puits, là même où selon Saint Jean, Notre-Seigneur rencontra la Samaritaine ; et notre mère l'abbesse savait mieux que quiconque décliner abba au féminin. " Oh, mère !" , gémissait souvent Charlotte en jouissant... Elle s'enduisit donc soigneusement les deux margelles du chrême parfumé dont l'apothèque conservait le secret, laissa retomber sa lourde robe blanche, rabattit sa guimpe sur sa poitrine et se hâta joyeuse vers le balcon du pignon qui rejoignait le logis de l'abbesse à la Chapelle ; de ce balcon, dame Guillemette de Taillis pouvait à la fois surveiller l'entrée de l'abbaye et évaluer ainsi les visiteurs, mais aussi se représenter mentalement les osselets de la colonne vertébrale des moniales ployées pour la prière dans l'abside. Charlotte avait seize ans, dame Guillemette le double, et cette société féminine était un havre dans l’abbaye où la tradition de Robert d'Arbrissel avait traversé les siècles. La règle protégeait ainsi la noblesse inhérente à la féminité et la paix à peine coupable des amours labiales, glosso-palatines et dactylaires des épouses du Christ. Dehors, le monde profane vaquait aux vignes et aux superstitions, du moins quand la terreur de franciscains crasseux ou de jésuites vicieux ne venait pas, au nom de la mission, raviver des peurs qui pouvaient basculer des flammes de l'enfer redouté à celles bien réelles des bûchers des sorcières. Or dame Guillemette était inquiète, une mission jésuite s'annonçait. Et quand Guillemette était inquiète, il lui fallait le trou du cul huilé d'une novice. Ça tombait bien, Charlotte était ravie et remarqua à peine, en passant, la petite forme prostrée sous le grand fresne près de la grille de clôture.

vendredi 10 août 2007

Au Manoir du Tronchay

LOUISE DU NEANT

Essai mythobiographique I.

Je suis né comme Louise sur cette micro chaîne des puys faite de minuscules volcans où les romains avaient établi des camps pour séparer et surveiller Andes et Pictons. Les saints et les vierges noires y pullulent. Je ne sais si je deviendrai un saint, mais nul doute que Louise du Néant soit ma soeur. La famille de Bellère du Tronchay de la Ragotrye a disparu, mais il suffit de faire une neuvaine à Saint Jude en déposant neuf photocopies tremblées des invocations dans les confessionnaux de neuf églises sur neuf puys pour s'apercevoir que la sainteté n'a pas disparu. ( Saint Flivo , patron des renards, ça m'irait bien.) ( pour voir le manoir qui vit la naissance de Louise, allez sur géoportail et tapez " Le petit Tronchay". C'est là.).

Cette mère aux seins arides l'avait donnée à la fermière empuantie et ainsi privée des souvenirs olfactifs du colostrum inaugural. La première culpabilité de Louise était là : avoir pris plaisir à s'introduire dans la bouche le phallus galactophore d'une mère qui n'était pas la sienne. Quatre avents et quatre Saint Marc plus tard, ce fut le doigt ensanglanté de son frère Lazare, ce dadais de treize ans, pervers comme un adolescent morveux. Depuis, Louise restait souvent prostrée dans un angle sombre de la aula, à l' opposé à la tenture qui cachait le mobilier de literie. Messire Pierre, son père , rabroué une fois encore par M. de la Jumellière était ce soir là passé d'abord par le cellier pour boire, par l'office pour trousser une servante, avant de monter à l'étage pour battre sa mère. La gamine qui gémissait dans son coin l'avait énervé et il l'avait chassée à coups de poing et de botte sous les rires niais de François, le frère aîné taré qui dispersa pendant des années sa semence contre les pierres de tuffe et s'enduisant du jus des briques de terre, jusqu'à ce qu'on le marie dans le sud du Poitou à une fille sans dot qu'il n'honora jamais. Louise se précipita vers les cuisines, mais il n'y régnait que cris, rancoeur et vengeance. Ce jour là elle traversa donc la cour sous la pluie et se réfugia dans une soue inoccupée. L'obscurité lui fit du bien. Elle gratta le mur de falun et en retira sous ses ongles quelques dizaines de minuscules débris de coquillages qu'entre deux averses elle étudia au soleil, en les étalant sur une feuille de roquette disputée aux poules. Louise se souvint alors qu'elle était une enfant, elle sourit et joua avec bonheur, mais elle trouva bientôt que ses ongles étaient coupables de lui donner ce bonheur. Plus tard certes il y eut le plaisir et la douleur comme averses de poix brûlante sur le dos des damnés , mais de bonheur point... Elle entendit la cloche des bénédictines de Villeneuve et se hâta de rentrer. Messire son père criait toujours, il avait coutume de crier jusqu'à ce qu'il ronflât.

Louise du Néant

LOUISE DU NEANT

Essai mythobiographique .

Avertissement.

Ebloui par Claude Louis- Combet, que j’ai approché à travers ses « Errances Druon » lors d’une visite à « Vent d’Ouest » en compagnie de la grande Molly McGorn, ahuri par la découverte d’un mémoire de maîtrise de psychologie sur Louise du Bellère du Tronchay, stupéfait par ma proximité mythobiographique avec Louise, j’ai décidé que nous serions canonisés ensemble le jour où la vérité sera enfin rétablie. Ce blog a donc pour double objet de d’illustrer une gémellité et de contribuer à mon procès canonique, ce que trop peu de saints songent à faire de leur vivant. D’ailleurs si vous constatez un miracle à la lecture de ce blog, contactez moi.